Disclaimer : cet article traite des cinq premiers films de la franchise, sortis entre 1968 et 1973, ainsi que sa série télé dérivée de 1974. L’issue du premier film ayant été parodiée, reproduite et figurant même sur les coffrets dvd du commerce (bravo le marketing), je pars du principe que vous la connaissez. Sinon, attention : ÉNORME SPOILER.
Planète Interdite
Un groupe d’astronautes se réveille en 3978 sur une planète inconnue, vraisemblablement hostile, après un voyage en hyper sommeil. Au bout de quelques jours d’exploration, ils découvrent des humanoïdes très semblables à eux, mais à l’état sauvage. Soudain, ils se retrouvent pourchassés par d’autres humanoïdes, civilisés, eux. Sauf qu’il s’agit… de singes.
C’est ainsi que se déroulent les vingt premières minutes de La Planète des Singes, admirablement ponctuée par la musique expérimentale de Jerry Goldsmith, qui accentue le côté flippant de cette planète hostile à l’homme.
Ce film, signé Franklin J. Schaffner en 1968, préfigure le tournant de la carrière de Charlton Heston, qui va devenir un des fers de lance de la contre-culture SF cinématographique américaine des années 70 (Le Survivant et Soleil Vert, en sont particulièrement l’illustration). Le Roman originel, signé Pierre Boulle (Le Pont de la Rivière Kwaï est de lui aussi) va vite être mis de côté pour laisser Rod Serling, roi incontesté de l’ironie (La Quatrième Dimension) en signer son scénario vertigineux. Vertigineux par son twist final, dont on a du mal à se remettre, mais aussi par les thèmes qu’il évoque.
Les astronautes se retrouvent donc en plein milieu d’une chasse à courre dont les humains sont les proies muettes. Les vrais maîtres de la planète sont les singes, intelligents et doués de parole. Seul Taylor (Charlton Heston) s’en sort sans trop de blessures et il est mis en cage avec d’autres humains. Blessé à la gorge, il devient alors le témoin frustré de son destin d’animal de laboratoire. Face à lui, les singes sont divisés en trois catégories socio-professionnelles : les sages, gardiens de la Foi et de la Justice sont les orang-outans, les gorilles sont les militaires et les scientifiques sont les chimpanzés. Parmi eux, les docteurs Cornelius et Zira vont se prendre de curiosité pour Taylor, qui a l’air plus « éveillé » que les autres humains. Ils décident donc de l’emmener dans leur laboratoire afin de l’étudier. Quitte à le disséquer si besoin.
Mais Taylor va se révéler plus « dangereux » que prévu pour le modèle de société de cette planète bien étrange. En dehors du côté science-fiction de ce film, sa véritable thématique est celle de l’obscurantisme religieux : les singes, et plus particulièrement les orang-outans, même s’ils sont les maîtres incontestés de la planète, ont volontairement caché que l’homme est leur précurseur. Les rouleaux sacrés de César décrivent le singe comme un être vertueux, qui a reçu la planète en cadeau pour sa perfection, sa supériorité face à l’homme, considéré comme un bête sauvage.
La présence (et son existence) de Taylor est une menace pour les dogmes religieux des singes. Le procès qu’il subit en est une preuve accablante, il est déjà condamné avant qu’il ne puisse se défendre. Plus tard, le Docteur Zaïus lui confie même que son arrivée était sa pire crainte.
Les Dessous
Le succès du film est tel que, fait incroyable pour le cinéma de l’époque, une suite est immédiatement lancée, Le Secret de la Planète des Singes, avec une apparition de Charlton Heston, mais cette fois-ci menée par James Franciscus.
Cette fois, l’astronaute perdu découvre assez rapidement la nature de cette planète, mais la grosse révélation est la présence d’une civilisation humaine très évoluée, télépathe, dans la Zone Interdite au confins du pays des singes. Et cette civilisation voue un culte à un missile balistique portant les lettres grecques Alpha et Omega gravées sur sa surface. La fin du monde comme idéal absolu, et les radiations nucléaires comme mode de vie.
C’est bien entendu la course aux armements de la Guerre Froide qui est… singée, dans ce film là. Les singes, menés par les orang-outans et les gorilles, représentent à nouveau l’obscurantisme guerrier, mais cette fois face à une autre forme d’obscurantisme, tout aussi meurtrier. Les conséquences s’avèreront terribles et… étonnantes. Comme la guerre du Vietnam.
Le problème est qu’au fil des suites, le budget des films est systématiquement divisé par deux.
Retour aux sources
C’est le cas du troisième film, tout aussi intéressant malgré cela, Les Évadés de la Planète des Singes. On se retrouve au début des années 1970, sur terre, et cette fois-ci, ce sont les singes qui se retrouvent dans la peau de Taylor. La trame habituelle est inversée, mais de manière assez subtile. Les singes Cornelius, Zira et Milo, après avoir été hébergés dans un zoo, deviennent la coqueluche de la haute société de Los Angeles.
Mais un lapsus de Zira va mettre la puce à l’oreille d’un scientifique, le Docteur Otto Hasslein, campé par Eric Braeden (le papa de Colossus, cité dans un article précédent) et qui va tout faire pour éliminer la menace que représentent ces singes parlants. Les rôles sont inversés et la critique de la société américaine devient plus violente.
C’est cette société des années 60 et sa peur du progressisme qui est dans la ligne de mire de ce film. Et sa conclusion très sombre et bien plus terre-à-terre que les deux films précédents fait froid dans le dos. Et même si le mini-twist final est mal réalisé il annonce clairement la suite.
Révolution
Et cette suite, c’est La Conquête de la Planète des Singes. Nous sommes en 1991, et les chiens ont disparu suite à une épidémie. Ce sont les singes qui les ont remplacé. Ils ont aussi (magie du cinéma) évolué et sont devenus très proches de l’homme.
Ils se tiennent sur deux pattes et peuvent remplir des taches ménagères et aller faire des commissions. Ils sont, de fait, devenus les esclaves des humains. Parmi eux, vivant caché avec celui qui l’a récupéré tout petit (Armando, joué par Ricardo Montalban, le Khan de Star Trek, entre autres) figure César, le fils de Cornelius et de Zira. Il est adulte et est le seul singe qui peut parler et qui possède l’esprit critique nécessaire pour comprendre que quelque chose ne tourne pas rond.
Suite aux événements dramatiques décrits dans le film, il va se lancer dans une quête de justice qui va le mener à mener une révolte contre les humains. C’est le film le plus ouvertement politique de la série. C’est le miroir violent du mouvement pour les droits civiques des noirs aux États-Unis. Les humains ont trop abusé des singes et les singes ont trouvé en César leur sauveur.
C’est aussi le début de preuve que les hommes ne peuvent pas échapper à leur destin : d’un manière ou d’une autre, ils devront disparaître, la faute à leur cruauté. Mais la fin du film ne tient pas toutes ces promesses : César, sous l’emprise de la surprise d’un événement inattendu, devra revenir à une raison plus sage. Les mots de la fin restent quand même inscrit dans l’amateur de SF que je suis puisqu’ils renvoient directement à la source de la franchise.
Malheureusement, le budget n’est pas à la hauteur des ambitions du film, qui en souffrira aux yeux des critiques de l’époque.
Mais tout cela ne décourage pas les producteurs, d’autant que l’ère du marketing pré-Star Wars bat son plein : une soixantaine d’entreprises fabriquent des produits dérivés de la franchise, et c’est une manne suffisamment conséquente pour mettre en chantier le cinquième (et dernier) film : La Bataille de la Planète des Singes (pour un budget ridicule, même pour l’époque : 1, 8 millions de dollars alors que le premier avait coûté 5,8 millions…)
Évolution
Cette fois, les singes et les hommes vivent en communauté et (à peu près) en paix. Le discours de César à la fin du film précédent a porté ses fruits. Seul un mot est banni du vocabulaire humain : NON.
Mais voilà, les restes de la civilisation humaine des « maîtres » de l’épisode précédent vit terrée dans la zone interdite (la version restaurée y ajoute même les ancêtres des adorateurs de la bombe du second volet de la saga) et souhaite reconquérir ce qu’il leur reste de la civilisation qui leur est chère. Pain bénit pour les gorilles qui deviennent les va-t-en-guerre qu’on connait bien. S’ensuivra une bataille dont je vous laisse découvrir la conclusion. Ce film reste le plus faible, thématiquement parlant et conclut la série de manière peu glorieuse.
Mais cet échec critique et commercial n’arrête pas la Fox qui commande une série télé.
La Planète des Singes (c’est son titre) ne survivra qu’une seule saison en 1974, et elle raconte l’arrivée de deux astronautes et leur quête pour rentrer à leur époque, aidés par le chimpanzé Galen. Trop chère à produire, elle sera annulée au bout de 14 épisodes. À voir tard le soir avant de dormir.
Il existe aussi une série animée, produite en 1975 : trois astronautes redressent les torts des humains muets face aux singes. Sont aussi présents les mutants télépathes du second épisode de la saga.
Il y a bien longtemps…
Fortement ancrée dans son époque, cette série de films de science fiction auront marqué le paysage médiatique des années 70. Sans elle, et Star Trek, un petit réalisateur inconnu n’aurait certainement pas eu la possibilité de voir ses rêves de galaxie très lointaine exposés sur pellicule…