Le Baloot est un jeu de hasard et de stratégie présent en Europe du sud, mais surtout dans le monde arabe. Il fait un tabac dans le Golfe et en Arabie Saoudite, où il est élevé au rang de sport national.
Une incertitude sur le label Made in France ?
Pour les Français, le terme évoque une scène familière, sortie d’un film de Pagnol : autour d’une table, César lance à son partenaire : « Marius, tu me fends le cœur », pour l’inciter à couper avec une carte de cette famille. Et son adversaire lui jette le jeu à la figure en l’accusant de tricher. Il s’agit alors de manille, un jeu apparenté à la belote. Toujours est-il que l’homonyme du jeu saoudien, la belote, appartient au patrimoine culturel français depuis le VIIᵉ siècle, le royaume franc étant féru de ce genre de distractions. À l’époque, les guerriers musulmans conquéraient la péninsule ibérique… jusqu’à Poitiers, et Jérusalem pour plusieurs siècles. Le commerce musulman s’emparait de la Méditerranée. Plus tard, est-ce l’expansion ottomane qui explique la migration de la « belote » en « Baloot » ?
D’autres contestent cette origine presque trop limpide et prétendent que le jeu viendrait d’Inde, au moment des contacts entre les commerçants navigants arabes et indiens. L’origine pourrait être française, mais la culture indienne s’en serait faite le véhicule, au cours de ses pérégrinations vers la Péninsule Arabique.
Les secrets du Baloot transmis entre générations
Ancré au cœur de la tradition saoudienne, dans les cercles tribaux fermés aux étrangers, ce divertissement fait aujourd’hui l’objet de championnats télévisés à Ryiad, qui interloquent l’observateur extérieur. Depuis le championnat de 2020, on peut apercevoir des équipes féminines, certaines dévoilées, en posture de rivaliser à armes égales avec les hommes.
Très longtemps, les mêmes règles traditionnelles se sont appliquées : quatre joueurs se partagent 32 cartes, en excluent les cartes entre le 2 et le 6, l’objectif étant de surpasser le duo adverse.
Comment se joue le Baloot ?
Un premier donneur distribue cinq cartes dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Après chaque main de cinq cartes, le tour de distribution passe à droite. Le joueur à gauche rebat les cartes. Il rend visible une de ces cartes, ce qui déterminera le style de jeu : selon la voie du Soleil (Sun), ou selon la voie de l’Arbitre (Hokum).
Il distribue trois cartes, puis deux, puis reste la dernière carte rendue publique. Commencent alors les enchères. Si les joueurs « achètent » la carte publique, la priorité est donnée au joueur qui se trouve à la droite du croupier, puis à son partenaire en face de lui, et ensuite à celui de gauche. Ils peuvent aussi dire « non » et refuser la carte.
Choisir la formule « Soleil » consiste à jouer sans atout. Sélectionner « Arbitre » ou Hokum permet d’utiliser une couleur de la carte exposée et de s’en servir comme atout.
Les femmes autorisées à battre les hommes ?
Dans la nouvelle Arabie Saoudite de Mohammed Bin Salman, il est encore difficile de déterminer si le droit effectif des femmes l’emporte sur la politique de l’image d’une société qui se libéralise. Lors des championnats de février 2020, 40 équipes féminines ont défié quelque 18.000 concurrents masculins, pour essayer de décrocher le prix de 2 millions de Rials (508 827 €) promis au vainqueur.
Jusqu’à cette date, les femmes jouaient entre elles, parfois depuis une demi-douzaine d’années, s’exerçant, entre amies et sœurs, pour le jour inespéré où elles pourraient braver le cercle patriarcal. Cette émulation s’est révélée payante et à l’instar des premières à risquer la confrontation avec la gent masculine, beaucoup de femmes veulent les imiter.
Indice d’émancipation ou leurre ?
On observe des évolutions au coup par coup, loin de remplir tous les critères démocratiques de liberté de la femme. Dans le royaume saoudien, la numéro trois du Conseil de la Choura, le Parlement, est une femme, Hanan Al-Ahmadi. “Le fait que les femmes obtiennent des postes à responsabilité n’est pas qu’un symbole”, affirme-t-elle.
L’Asharq Al-Awsat saoudien fait l’éloge du programme de réformes économiques et sociales baptisé “Plan vision 2030” porté depuis 2016 par le prince héritier.
Mais, les femmes dans le monde arabe “jouissent de droits élémentaires limités”, indique le Forum économique mondial. C’est d’autant plus vrai que les enjeux touchent le divorce, le droit à l’héritage, l’accès à la justice ou à la liberté de mouvement.
Le royaume refuse de statuer sur la mise sous tutelle ou taghayyub, qui permet aux tuteurs masculins de ramener de force une femme à son domicile. Un homme est tuteur à vie des femmes de son entourage, épouse, sœur ou fille. Celle-ci n’a donc jamais de majorité légale.
Y a-t-il un espoir qu’un jeu, né en France bien avant la galanterie et l’amour courtois (XIIᵉ siècle), n’accorde aux femmes des droits que la réforme ne concède encore qu’au compte-gouttes ?